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L’espoir d’un rebond breton de la collecte après le recul

Atout. Le choix de produire avec les fourrages est cohérent avec le potentiel pédoclimatique de la Bretagne, même s'il pénalise la productivité des vaches et la collecte totale.

Agrandissement des troupeaux, décapitalisation, baisse de la collecte. Le visage de la production laitière française bouge vite. En déclin depuis 2019, la Bretagne reste la première région pour la collecte et se distingue par le choix d’un modèle moins productif que ses voisines du Grand Ouest.

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En 2023, la collecte laitière bretonne a chuté de 3,6 %, contre - 2,7 % en France ou - 0,3 % en Normandie. Même si une amorce de reprise est constatée en 2024 (+1,95 %), cette régression s’inscrit dans une tendance installée dans la région depuis 2019, en lien avec une décapitalisation du cheptel plus marquée qu’ailleurs. Entre 2019 et 2023, le nombre de vaches laitières a baissé de 11,77 % en Bretagne contre 9,21 % en France. Pourtant, dans les années précédant la fin des quotas laitiers (2010-2015), les éleveurs bretons avaient saisi les opportunités de croissance et leur production avait progressé davantage que la moyenne française. « Cette décapitalisation quasi continue depuis six ans et son impact sur la collecte sont alarmants », remarque Olivier Carvin, chargé de mission économie et emploi à la chambre d’agriculture de Bretagne. Il vient de réaliser une étude pour cartographier et analyser les évolutions en cours (1). L’enjeu est important pour la Bretagne car le lait est sa première production et représente 21 % de sa valeur agricole et agroalimentaire. En 2022, elle a produit 23 % du lait français et se classe en tête des régions devant la Normandie.

Premier constat : le décrochage de la collecte bretonne est récent. Elle s’est stabilisée autour de 5,4 millards de litres (Mdl) jusqu’en 2019, alors que la région produisait 4,6 Mdl sous le régime des quotas laitiers. « Entre 2008 et 2015 dans le Grand Ouest, le cheptel a évolué de manière très contrastée. Il s’est développé très fortement dans les zones déjà densément peuplées en vaches laitières et a régressé là où cette densité était faible », expose Olivier Carvin. Mais la Bretagne fait exception. « Dans le centre de la région et dans le Finistère, des zones à densité laitière historiquement élevée, le cheptel a reculé. » La baisse atteint 20 % dans certaines zones.

De plus, on constate que durant cette période, la productivité des vaches a nettement moins augmenté en Bretagne que dans les régions voisines (voir ci-contre). Ainsi, entre 2007 et 2021, elle a gagné 12 % dans le Finistère contre 44 % dans la Manche. Parallèlement, les niveaux de coût alimentaire observés en Bretagne sont inférieurs de 10 % à 17 % respectivement par rapport aux Pays de la Loire et à la Normandie, selon les données du Rica (Réseau d’information comptable agricole).

Des systèmes autonomes mais moins productifs

La Bretagne se distingue donc aussi par des choix de systèmes différents qui ont un impact sur les livraisons de lait. Lors des crises de 2015 et de 2019, les Bretons ont davantage limité leurs achats d’aliments, et donc la complémentation des vaches. Leur productivité a été affectée. Le choix de systèmes de production plus autonomes sur le plan alimentaire est cohérent avec le potentiel pédoclimatique de la région. Les éleveurs valorisent leurs atouts en produisant beaucoup à partir de leurs propres fourrages. Ils dépendent moins des achats.

Ralentissement de l’agrandissement

Au final, ils produisent un peu moins mais leurs exploitations sont plus résilientes qu’ailleurs dans le Grand Ouest, zone où partout, depuis la crise de 2015, le cheptel laitier décline. La Seine-Maritime, la Vendée et la Bretagne ont été particulièrement touchées. En Centre-Bretagne, le déclin avait commencé avant la fin des quotas. En Vendée, la taille des élevages avait connu une forte croissance. Disposant d’une faible autonomie alimentaire, ils ont été plus fragilisés par la crise.

En outre, depuis cinq ans, le rythme de croissance de la taille des troupeaux a ralenti en Bretagne. Cette tendance se voit aussi au niveau des installations de jeunes. La taille moyenne de leur troupeau s’est stabilisée autour de 80 à 85 vaches, pour des raisons en partie financières. La hausse très modérée de la productivité des vaches ne permet plus de compenser la décapitalisation, ce qui se traduit par une baisse de la collecte. Cet arrêt de l’agrandissement des fermes laitières trouve une partie de son origine dans la difficulté d’accès au foncier. Il existe une concurrence entre les productions et, dans les zones littorales, la pression du tourisme pèse aussi. Les éleveurs, et particulièrement les jeunes, ne peuvent pas rivaliser. « Je ne pense pas que le poids des réglementations environnementales soit déterminant pour expliquer les spécificités observées sur les élevages laitiers bretons. Certes, cela a pu décourager certains éleveurs mais il ne s’agit pas d’un phénomène majeur », analyse Olivier Carvin.

Abandon du lait au profit du porc ou des légumes

En revanche, l’existence de nombreuses filières agricoles dans la région a contribué à accélérer l’abandon du lait, déjà avant 2015. Dans le centre de la Bretagne et le Finistère, de nombreuses fermes possédaient deux ateliers, souvent du lait associé à du porc ou des légumes. Beaucoup ont décidé d’arrêter le lait. L’importance de la charge de travail et la faiblesse des revenus ont pesé. Au même moment dans le Finistère, les départs à la retraite d’éleveurs ont commencé à augmenter fortement, pour des raisons démographiques. La vague de départs à la retraite a démarré plus précocement qu’ailleurs dans ce département.

Ce mouvement de déprise dans des zones où la densité laitière a toujours été élevée a pu nourrir un certain sentiment de déclassement. « À un moment où le prix du lait restait faible, plus en Bretagne qu’ailleurs, les éleveurs laitiers du Finistère et du Centre-Bretagne ont comparé leurs résultats à ceux d’autres producteurs. Ils se sont demandé si la spécialisation laitière était la bonne option. » Dans l’est de la région comme dans le sud de la Manche ou en Mayenne, le développement du lait s’est imposé comme une évidence. Tous ces constats amènent à s’interroger sur la suite. Les tendances observées vont-elles se poursuivre ? « Depuis deux ans, la hausse du prix du lait donne l’avantage aux stratégies visant à augmenter les livraisons », note Olivier Carvin. La Bretagne dispose d’un bon potentiel et l’avenir dira si elle décide de jouer cette carte. En 2023 selon Agreste, les revenus des éleveurs laitiers bretons ont reculé par rapport à 2022 (-38 % de revenu courant avant impôt) notamment à cause de la baisse des volumes produits (- 12 %).

Des outils industriels nombreux et bien répartis

La résilience des fermes bretonnes constitue un atout, même si elle induit un risque supplémentaire de baisse de la collecte préjudiciable aux industriels. Olivier Carvin remarque aussi qu’en dehors d’une légère baisse en 2024, le nombre d’installations de jeunes en production laitière est stable en Bretagne depuis 2014. Le rebond des livraisons en 2024 représente un autre signe encourageant. Par ailleurs, les abandons de collecte annoncés par Lactalis fin 2024 ne concernent pas la Bretagne (sauf des déconversions en bio). Ce choix du numéro 1 laitier est rassurant. Les sites industriels sont nombreux et répartis sur l’ensemble du territoire en Bretagne. En cas de fermeture, la réorientation du lait vers une autre usine y est plus facile à envisager qu’ailleurs. De plus, l’importante vague de départs à la retraite va se calmer d’ici cinq à dix ans. La collecte pourrait se stabiliser dans la foulée, si la conjoncture reste favorable, ce qui reste très difficile à prévoir.

(1) Comparaisons entre la Bretagne et les autres pays européens de l’évolution du cheptel laitier et de la collecte laitière - Rapport d’étude de la chambre d’agriculture de Bretagne, août 2024.

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